Une reine de légende
Après sa désillusion auprès de Lancelot, et son retour auprès d’Arthur, Guenièvre semble changée. Elle semble beaucoup plus proche des réalités, elle s’affirme auprès d’Arthur et des autres membres de la cour. Elle s’inquiète de la dislocation du royaume en différents clans autonomes et se demande ce que fait Arthur. C’est la première fois qu’elle trouve à redire sur le gouvernement de son époux, et il se trouve que son raisonnement est justifié.
Guenièvre — « Pourquoi laissez-vous vos chevaliers former des clans séparatistes alors que l’une de vos priorités a toujours été de fédérer les clans autour de votre royaume et de la quête de Graal(1) ? »
Ce ne sont plus des imbécilités ou des paroles enfantines qui sortent de la bouche de la reine, elle a mûri, et Arthur trouve de moins en moins matière à lui prouver le contraire de ses dires.
Guenièvre — « Je rêve ou je vous ai cloué le bec ? »
Guenièvre va en effet revenir et doit tenter de chasser le désespoir qui règne au sein de la cour. Ce que disait la dame du lac à Arthur alors que Guenièvre était partie :
La Dame Du Lac — « Vous n’avez aucun courage. Aucune dignité. Votre manque de foi est en train de tout détruire(2). »
Voilà ce qui semble gagner la cour de Kaamelott, le manque de foi. Aussi, lorsque le roi replante l’épée dans le Rocher, afin que de nouveau les prétendants au trône puissent tenter leur chance, certaines personnes se mettent à douter. Ils se demandent ce qui se passerait si la lame restait de nouveau plantée pendant des années. Guenièvre se doit alors d’intervenir.
Guenièvre — « Ah bravo ! C’est là tout le crédit que vous accordez à un objet conféré par les dieux(3). »
Ceci nous amène justement au fameux parallèle entre Guenièvre et l’épée. Dans Kaamelott, on est en droit de penser que seule l’épée magique donne la souveraineté à Arthur, l’Élu des dieux. Néanmoins, l’épée ne fait pas tout, car pour monter son projet de fédération, il doit épouser Guenièvre. Bien avant Kaamelott, les clans bretons sont en guerre permanente entre eux et contre les Romains, bien que depuis peu ils se réunissent et s’allient contre l’ennemi romain.
Arthur — « Mais qui est-ce qui commande là-bas ? »
La Dame Du Lac — « En ce moment c’est plutôt le roi de Carmélide, m’enfin ça tourne, c’est un peu à celui qui gueule le plus fort(4). »
Léodagan de Carmélide réunit chez lui, en l’occurrence dans son campement, les rois d’Irlande, de Calédonie, d’Orcanie et d’Armorique dans une sorte de table ronde primitive. On retrouve donc l’idée, que soulignait Anne Berthelot, de l’intérêt du mariage avec Guenièvre pour qu’Arthur ait cette dot : la Table Ronde. Ici, c’est la même chose, cette table ronde fictive est importante pour Arthur, car sans cela il ne pourra pas fédérer les clans. Donc Guenièvre assure bien ici la souveraineté d’Arthur sur le Royaume de Logres.
Comme nous l’avons déjà dit précédemment, la chute du royaume s’amorce lors du départ de Guenièvre. Cependant, alors que dans les sources littéraires, l’adultère commis entre la Reine et Lancelot est responsable de la fin du monde arthurien, la responsabilité change de mains dans Kaamelott. On retrouve, tout d’abord, cette révélation de l’amour entre Guenièvre et Lancelot. Arthur rendu invisible par Merlin, tout ceci par mégarde, surprend une conversation entre la Reine et Bohort. Ce dernier venait l’entretenir de la flamme qu’éprouve Lancelot à son égard. Arthur se met en colère, la Dame Du Lac tente de le raisonner, et de le dissuader de commettre une erreur de jugement(5).
Mais la faute va être commise, et si adultère il y a, c’est du côté d’Arthur que cela se produit. Guenièvre surprend, à son tour, Arthur en train d’embrasser Mevanwi. Elle fait alors part de son immense déception. Arthur, le Roi lui-même, par son manque de foi, bafoue les lois de la souveraineté.
Guenièvre — « La femme d’un chevalier, la faute suprême, vous me noyez dans la honte(6). »
Ces paroles sont fortes, emplies de sagesse, on note bien Guenièvre présentée ici comme une personnification de le souveraineté, qui parle à Arthur. Elle lui pose, par ailleurs, le dilemme suivant : va-t-il continuer dans cette voie et assassiner son ami Karadoc ? Va-t-il ainsi rompre avec la souveraineté ? Devant son mutisme, Guenièvre décide pour lui et le quitte pour retrouver Lancelot.
Arthur avoue, par la suite, que cette aventure avec Mevanwi était une échappatoire pour lui. Il souhaitait s’extraire d’une condition difficile, mais les dieux, par l’intermédiaire de la Dame Du Lac, insistent pour qu’il reprenne Guenièvre. Il semble donc que les deux éléments de la souveraineté soient indispensables pour maintenir l’équilibre du royaume. Il faut à la fois l’épée et la Reine, l’épée représentant Arthur et ses exploits guerriers et la reine, primordiale dans son rôle de pilier fondateur de la cour du Roi. Aussi quand l’un des deux éléments est manquant, le Royaume est en danger. Dans le Livre IV, il s’agissait de l’absence de Guenièvre, dans le Livre V c’est l’absence d’Arthur, qui va replanter l’épée, un geste encore une fois déconseillé par la Dame Du Lac. A partir de là, pour la survie du royaume il devient essentiel de trouver un nouveau Roi, sans qu’il n’ait besoin de retirer l’épée. Guenièvre, en tant que dame de la souveraineté, n’a pas le pouvoir de régner seule, mais peut faire le don de souveraineté. Elle élit une personne qui assurera le pouvoir, néanmoins il est important de préciser que cette personne est appelée « Régent » et non « Roi », le roi étant celui qui retire l’épée. Donc bien qu’elle offre un accès au pouvoir, ce dernier est limité puisqu’il est incomplet.
L’aspect féérique de Guenièvre en tant que dame de la souveraineté est également souligné par le personnage intriguant, venu de l’Autre Monde, nommé Méléagant (ou La Réponse), lors d’une discussion qu’il a avec Lancelot et où il lui dit :
Méléagant — « Prenez Guenièvre ! Prenez le trône(7) ! »
La venue de ce personnage nous rappelle, bien évidemment, son origine dans Le Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes, qui était un personnage violent venu de l’Autre Monde pour bafouer la souveraineté d’Arthur et la mettre en péril en enlevant Guenièvre. Le personnage ici gagne en mystère, en profondeur et en capacité de manipulation. Il n’apparaît, pour commencer, qu’aux personnes qui l’intéressent, aussi, seul Lancelot aperçoit cet homme en noir dans la forêt, ce qui a pour conséquence de le faire considérer comme un fou aux yeux de son entourage.
Le schéma de l’enlèvement est ici inversé, il ne va pas enlever Guenièvre, il enlève d’abord Lancelot, puis il enlèvera Arthur par la suite. Il ne cherche pas à bafouer la souveraineté, il est La Réponse à ceux qui bafouent les lois naturelles, et comme il le dit lui-même, il ne prend pas plaisir à voir mourir les gens, mais à leur sabordage. Le parallèle établi avec la féérie de Guenièvre montre que celle-ci apporte un soutien passif à Arthur lors de sa quête, mais également une protection. Durant le Livre V, en effet, Arthur, qui n’est plus roi, décide de partir à la recherche de ses enfants cachés, et Guenièvre décide de l’accompagner. Cependant elle devra abandonner le voyage après s’être blessée, et sera ramenée à Kaamelott, alors qu’Arthur continuera sa route seul. Mais, dès qu’il est seul, Arthur semble se perdre totalement, et ne retrouve plus le chemin du château. Il est perdu dans l’Autre Monde, sans Guenièvre, et c’est cette vulnérabilité qui l’entraine entre les griffes de Méléagant. Bien qu’elle ne reprenne pas le rôle de sauveur qu’avait Lancelot chez Chrétien de Troyes, Guenièvre semble nimbée d’une protection contre le personnage de Méléagant, une protection qu’elle accorde à son compagnon. Lorsqu’elle était avec Lancelot, Méléagant n’était qu’une ombre passagère, il n’a approché le chevalier que dès qu’il a été seul et abandonné. De même, pour Arthur, dès qu’elle le quitte, il est à la merci de La Réponse.
Si Guenièvre est une fée, pleine de foi, comme on l’a dit, et liée aux dieux, on peut alors s’intéresser à son rapport avec le Graal et la Quête. Alors qu’Arthur tente désespérément de mettre une image sur le symbole du Graal, il semble que Guenièvre y soit assez réfractaire.
Guenièvre — « C’est drôlement bien que vous ayez arrêté de chercher le Graal. »
Arthur — « De quoi ? »
Guenièvre — « Vous n’avez pas arrêté de le chercher ? »
Arthur — « Mais pas du tout. »
Guenièvre — « Oh bah je sais pas moi, vous le trouvez jamais. »
Arthur — « C’est parce que je cherche le Graal que je suis Roi, et que vous êtes Reine(8). »
Il faut faire attention à ne pas se méprendre néanmoins. Le Graal n’est pas un symbole de souveraineté, le Graal est un symbole, mais avant tout une Quête, et notamment pour retrouver la signification de ce symbole.
Par ailleurs, quand elle rejoint Lancelot et que celui-ci lui annonce qu’il entame sa propre recherche du Graal, elle se met en colère.
Guenièvre — « Laissez-les se dépatouiller à Kaamelott avec leur Graal. Maintenant que vous m’avez vous manque-t-il quelque chose(9) ? »
Guenièvre semble en accord avec Jean Markale, sur la diversité de symboles que recouvre le Graal.
La Quête de Lancelot, souvent présentée comme un échec, est en réalité une réussite à condition qu’on veuille bien admettre que Guenièvre est la « Reine du Graal(10) ».
Cependant ici, Lancelot ne se contente pas de Guenièvre, il est détourné d’elle par cette obsession du Graal, sans savoir ce qu’il est réellement.
Arthur, lui, va partir en quête dans le Livre V (et le Livre VI). C’est une quête personnelle, il se met à la recherche de ses enfants, la seule chose qui compte à ses yeux désormais. Là-dessus Guenièvre semble d’accord, accepte la quête et part avec lui, comme une demoiselle aventureuse. Les distances ne sont plus appréciées, les rencontres hasardeuses et, petit à petit, Arthur s’enfonce dans l’Autre Monde, il se perd. C’est en cela que la quête initiatique continue au Livre VI. Arthur s’est perdu lui-même, et doit pour cela revenir en arrière, sur ce qu’il a été. Méléagant lui offre la solution, une tradition occulte et morbide, qu’il préconise également à César dans le Livre VI : César souhaitait revivre une journée de sa vie, et Méléagant lui dit qu’il existe un moyen de revivre cette journée, César accepte, et se tranche les veines dans son bain. Ceci est une mise en relation directe avec ce que va faire Arthur, aussi lorsqu’il tente de se suicider à la fin du Livre V, sa quête continue dans le Livre VI, et nous en sommes les témoins, nous remontons dans sa mémoire lorsqu’il était à Rome. Le dernier épisode est un retour au présent, Arthur a fait rédiger ses mémoires par le Père Blaise. Mais il manque quelque chose, il ne se souvient pas de la toute première fois où il a retiré l’épée alors qu’il avait quatre ans. Cet acte fondateur qui a fait de lui l’Élu. De plus la perte du sang versé le diminue de jour en jour, cette blessure mortelle ne peut être soignée.
Le final de la série est alors une ouverture vers diverses explications. La Bretagne sombre dans la terreur, les chevaliers sont pourchassés, nous n’avons aucune idée de ce que sont devenus des personnages importants comme Guenièvre et Perceval, et le Roi doit fuir. Il trouve refuge à Rome, dans l’ancienne demeure d’Aconia. C’est là qu’il retrouve la robe rouge, rouge comme le sang versé, comme ce feu divin qui anime les héros pleins de foi. Le fait de saisir cette robe lui rappelle alors ce souvenir perdu. Voilà la véritable quête d’Arthur au sein de la série. Arthur se perd lui-même, et ce ne sont pas ces enfants qu’il recherche, mais bien lui-enfant. Pour rendre compte de cela il faut voir le final du Livre V, le petit garçon, à côté de lui, qu’il tient par la main possède le même médaillon que lui, et c’est aussi lui qui retire l’épée avec Merlin à la fin du Livre VI.
Aconia devient une figure de Reine du Graal, la robe symbolisant le sang versé, et le refuge à Rome s’apparentant au refuge d’Avalon, où Arthur est soigné de ses blessures jusqu’à son retour prophétique. Un retour annoncé dans ce message.
« Bientôt Arthur redeviendra un héros. »
Un message censé annoncer le passage de Kaamelott du petit au grand écran, un retour prophétique attendu par les fans comme un grand moment. Seul l’avenir nous dira si cette prophétie se réalisera ou si Alexandre Astier a joué sur cet aspect de la mort du Roi Arthur.
Si Kaamelott est avant tout connu comme un divertissement et une série humoristique, Guenièvre en étant, au départ du moins un élément comique principal, cette étude aura pu montrer également l’importance attachée aux sources du cycle arthurien. Des sources remaniées par Alexandre Astier pour donner une nouvelle dimension à ses personnages. Aussi, le personnage de Guenièvre est-il un mélange des différentes Guenièvre(s) dont le cycle est composé. Ces différentes Guenièvre(s) se caractérisent par la présence de la triade originelle celtique, mais constituent également une référence à ses différents caractères qui subissent une évolution au cours de la série, les seules constantes étant son aspect féérique et son lien avec la souveraineté du Royaume de Logres. Alexandre Astier en fait un personnage attachant, il lui retire la responsabilité de la chute du monde arthurien, et elle devient une initiatrice auprès d’Arthur, dans sa Quête du Graal.
(1) Voir l’épisode 1 du Livre V, Corvus Corone
(2) Voir l’épisode 2 du Livre IV, Tous Les Matins Du Monde
(3) Voir l’épisode 2 du Livre V, La Roche Et Le Fer
(4) Voir l’épisode 2 du Livre VI, Centurio
(5) Voir l’épisode 98 du Livre III, Hollow Man
(6) Voir l’épisode 100 du Livre III, La Dispute 2ème partie
(7) Voir l’épisode 3 du Livre V, Vae Soli
(8) Voir l’épisode 28 du Livre II, Le Passage Secret
(9) Voir l’épisode 11 du Livre IV, Une Vie Simple
(10) Lire Europe de Jean Markale