// Guenièvre 4ème partie
 
 

Guenièvre 4ème partie

Les femmes d’Arthur : la Triade Celtique

Nous allons aborder, à présent, le thème de la triade celtique au sein de la série. Nous renvoyons ici aux origines littéraires de Guenièvre qui est Guanhumara issue d’une noble famille romaine chez Monmouth, et qui est Gwenhwyvar dans les triades galloises. Or, selon les traductions de ces textes, ce nom est celui de trois femmes, qui sont toutes trois épouses d’Arthur. La diversité des femmes d’Arthur est en effet bien mise en évidence. Comme nous le savons, sur l’inscription du supposé tombeau du Roi Arthur et de la Reine Guenièvre, retrouvé à Glastonbury, il est écrit distinctement que Guenièvre est la seconde épouse d’Arthur. Marc Rolland, parlant du mythe arthurien dans des œuvres contemporaines, dit que de nos jours les histoires sont plus centrées sur le personnage d’Arthur, et en référence à cette origine celtique où le roi aurait eu plusieurs épouses avec des noms plus ou moins similaires, il montre que, dans l’œuvre de Canning, il y a un dédoublement de Guenièvre(1). D’une part il y a la première épouse, Daria, qui est douce, pleine d’esprit et reste le grand amour perdu d’Arthur, et de l’autre on retrouve la seconde épouse, Gwennifer qui est manipulatrice, qui ne participe pas à la gestion du royaume au côté de son époux, elle n’a en tête que deux objectifs : que son époux soit Roi, et avoir un héritier mâle.

Ce parallèle avec la série Kaamelott est très intéressant, puisque nous y retrouvons ces types de personnages. Arthur a eu, en effet une première épouse à Rome, qui constitue un amour perdu, et ensuite il a épousé Guenièvre, en secondes noces. Celle-ci ne s’investit pas dans le gouvernement, mais souhaite donner un héritier au Roi. Quant au côté manipulateur, nous le retrouverons dans le personnage de Mevanwi avec qui Arthur commettra la faute.

Tout d’abord, nous allons nous arrêter sur le rôle des maîtresses. En effet, qu’Arthur ait des pratiques polygames n’est pas très courant. Le Roi peut rendre visite, dans son château, à ses maîtresses, qui ont leur propre chambre. C’est donc un fait connu de tous, même de la reine Guenièvre qui sympathise très vite avec elles(2). Souvent Arthur est partagé entre ses nuits chez ses maîtresses et celles passées avec sa femme, ce qui donne lieu à des disputes, ou à se retrouver avec plusieurs femmes dans le même lit(3). Il est à noter, également, que la différence majeure entre les maitresses et Guenièvre est le choix. Arthur n’a pas choisi Guenièvre, mais il choisit ses maîtresses. Ceci nous amène à réfléchir sur les raisons de ce choix. Dans l’épisode Le Repos du Guerrier, le parallèle est établi entre Guenièvre, et la principale maîtresse d’Arthur, Demetra.

Démétra : « Ça fait trois soirs que vous dormez avec moi. »

Arthur : « Vous en avez marre ? »

Démétra : « Oh bah non au contraire, mais… c’est la reine. »

Arthur : « Elle préfère elle. Soit disant que quand je reviens d’avec vous, je suis plus aimable et plus détendu. »

Démétra : « Remarquez ça se tient, quand vous revenez d’avec elle vous êtes chiant et agressif. »

Bien que nous l’ayons dit, une certaine complicité, qui ne se retrouve pas avec ses maîtresses, ressort du couple ArthurGuenièvre, Arthur recherche chez elles de la douceur. Néanmoins comme il pourrait en trouver dans les bras de Guenièvre, qui lui est toute dévouée, la recherche va donc plus loin. On apprend plus tard, et c’est la reine qui fait cette analyse, que toutes les maîtresses ont pour point commun leur chevelure noire(4). Elles ont toutes une apparence proche des Latines, alors que Guenièvre se rapproche plus du type celte. On est en droit de penser qu’Arthur recherche auprès de ses maîtresses à retrouver l’image perdue de son premier amour. Le rôle des maîtresses est de rappeler cette autre épouse d’Arthur, elles comblent un vide, car au sein de la couche du roi il y a eu deux noces de célébrées. Cependant à partir du Livre IV, on voit apparaître de moins en moins ces maîtresses, l’usurpatrice Mevanwi ayant pris leur place. Quant au Livre VI, il révèle la vérité concernant ce cruel manque dans le cœur d’Arthur.

Revenons donc sur ce premier amour. Alors qu’il était à Rome, et que l’on manipulait dans l’ombre pour se servir de lui pour fédérer la Bretagne de manière définitive, Arthur fait la rencontre d’une noble romaine, Aconia Minor. Cette femme élégante est connue dans la cité pour sa haute éducation et son raffinement, aussi on va lui confier Arthur, jeune homme de la milice urbaine, afin de parfaire son éducation. Il est en effet impensable de promouvoir au sein de l’armée des individus dépourvus d’éducation, auprès d’elle il apprendra l’algèbre, l’histoire, le théâtre, mais également des règles de la vie romaine, comme l’hygiène (trois bains par semaine étant un minimum). Cette femme, plus âgée qu’Arthur, est donc sa préceptrice. Mais plus que cela, on peut voir en elle la véritable initiatrice de tout ce qu’il est, une initiation parachevée par César qui lui enseigne les valeurs des « grands chefs ».

La cause est entendue : la fine amour est une relation privilégiée entre le vassal et la Dame-Maîtresse, elle est d’ordre spirituel, d’ordre affectif, mais aussi d’ordre guerrier, d’ordre politique, d’ordre sexuel, le tout étant profondément mêlé. Nous savons en effet par les textes irlandais que les jeunes gens allaient souvent s’initier à l’art militaire auprès de mystérieuses femmes-guerrières aux allures de sorcières redoutables. Cette initiation était autant magique que sexuelle(5).

La différence d’âge n’est pas un problème entre eux, tant ils se ressemblent. Elle est douce et calme. Le jeune Arthur lui-même ne pense pas mériter l’amour de cette femme. Leur mariage sera secret, Aconia étant déjà mariée. Le premier mariage d’Arthur est donc, certes une union d’amour, qui se noue dans le secret, le mensonge vis-à-vis du sacrement (puisqu’elle est déjà mariée), qui entrainera donc un deuxième mensonge lors du mariage avec Guenièvre.

Les témoins de ce mariage secret sont Merlin, le Maître D’Armes, Apius Manilius, le Père Blaise, qui célèbre le mariage, et la servante Drusilla. On peut d’ailleurs s’arrêter sur cette disposition particulière, d’un côté deux représentants de cultes : Merlin pour la tradition celtique et Père Blaise pour la religion chrétienne, de l’autre deux représentants des valeurs guerrières : le Maître D’Armes pour la Bretagne et Apius Manilius, le centurion romain. Ce schéma vise à réunir, dans le sacrement, la Bretagne et Rome, la tradition celtique et la chrétienté, schéma représentatif de la matière de Bretagne. La robe de la mariée est rouge, le choix de cette couleur est intéressant car n’est-ce là qu’un simple symbole d’amour, de passion ou peut-on y voir un sens caché plus profond ? Le rouge est également la couleur de la souveraineté, la couleur des empereurs romains, mais on ne peut passer également à côté de son évocation du sang. Qui plus est, lors de son retour à Rome, Arthur découvre Aconia et son premier mari réunis. Ils partent pour toujours, laissant derrière eux une maison vide, et Arthur seul. Aconia a alors ce dernier geste, elle jette sa robe de mariée. Nous reviendrons donc plus précisément sur cette symbolique ultérieurement. Le souvenir de cette première femme réside également dans une promesse qu’il lui a faite.

Aconia — Des maîtresses, tu peux en avoir tant que tu veux. Mais s’il y un mariage, je veux que tu me promettes de ne jamais le consommer(6).

Arthur a besoin de l’autorisation de son initiatrice pour contracter ce « faux mariage », cette union politique avec Guenièvre. Il se doit de tenir son serment. Ainsi, même si ce personnage n’apparaît qu’au Livre VI, qui est une introduction à la série, son souvenir reste entier dans le cœur d’Arthur, tant dans sa promesse que dans son désir de la retrouver auprès de ses maîtresses de type latin.

Il ne reste plus qu’une seule femme pour compléter cette idée de triade celtique, il s’agit de Mevanwi, l’usurpatrice, que l’on pourrait aisément qualifier de « fausse Guenièvre ». Cette femme est bretonne et l’épouse du Seigneur Karadoc de Vannes. Elle est intéressée par le pouvoir et manipulatrice, elle n’épouse Karadoc que lorsqu’elle apprend qu’il va devenir Chevalier de la Table Ronde. Quel est son rapport avec la fausse Guenièvre ? Elle ne vient pas crier au scandale au sein de la cour, néanmoins, elle sème le trouble dans l’esprit du roi, qui en tombe amoureux durant tout le Livre III. Cependant le Roi connait le risque encouru. S’il s’éprend de la femme d’un chevalier, il doit se battre en duel contre son mari. On peut voir ce trouble se manifester à plusieurs reprises, et notamment lorsqu’Arthur n’écoute même plus Guenièvre lui parler(7). Cette saison est maintenue dans une ambiance pesante : la faute va-t-elle être commise ou non, et ce malgré les nombreuses mises en garde, même divines.

Aussi, lors d’une séance de divination, la jeune diseuse de bonne aventure, Prisca, se voit insuffler une parole divine, à la manière d’une Pythie, et dit très clairement : « Ne touche pas à la femme du chevalier, Arthur, les dieux le prendront comme un affront »(8). L’adultère qui causera la chute du royaume a bien lieu, mais ici, c’est Arthur le responsable, et c’est l’élément déclencheur qui entraîne le départ de Guenièvre. Mevanwi pousse Arthur à assumer ses actes, afin qu’elle puisse usurper le trône de Reine. Néanmoins Arthur trouve une parade, dans une loi du pays de Vannes, et procède à un échange d’épouses avec Karadoc, évitant ainsi le duel. Ce sacrement, officié encore une fois par le Père Blaise, et par Merlin, relève plus de la mise en scène que d’une véritable union, néanmoins il constitue le troisième mariage d’Arthur. Mevanwi va alors donner une image de souveraine différente de Guenièvre, en souhaitant assister aux doléances du peuple et en régentant les devoirs d’Arthur.

Mevawni — « Je ne m’appelle pas Guenièvre moi(9). »

Elle tient à affirmer son autorité et son opposition formelle à ce qu’était Guenièvre. Arthur renoncera à elle et lui expliquera pourquoi.

Arthur — « Tout d’abord je vous aime. Même quand vous me tapez sur le système, je constate que ça ne change pas ça. Le fait est que je n’ai pas de place pour une histoire comme la nôtre. J’avoue, j’ai un peu profité de nous pour me soutirer à une condition pas toujours facile. Mais les dieux n’aiment pas ça. Les dieux n’aiment pas notre histoire. Ils le prouvent tous les jours. Alors on va arrêter le tir. Je renonce. A vous. Je suis désolé, c’est la meilleure chose à faire(10). ».

Mevanwi est jalouse de Guenièvre et mettra tout en œuvre pour se venger d’Arthur. Elle apprendra la magie auprès d’un enchanteur(11), elle tentera d’empoisonner le couple royal et une fois le Roi parti, elle reprendra le rôle de la « fausse Guenièvre », en détruisant la papier officiel du renoncement faisant d’elle l’épouse légitime du Roi Arthur, et lui assurant la souveraineté. Elle usurpe de nouveau le trône, en mettant en place Karadoc comme Roi.

Nous avons pu voir les différentes femmes qui gravitent autour d’Arthur, et notamment ses épouses, qui, au nom de la rémanence de la triade celtique, reflètent bel et bien les différentes Guenièvre que l’on peut retrouver dans la diversité d’œuvres qui constituent le cycle arthurien. Mais loin d’éclipser la figure de Guenièvre au sein de la série, ces oppositions l’amènent à évoluer. Et de la princesse de Carmélide aux rêves d’enfant et de la dame courtoise qu’elle était, Guenièvre tend à devenir, ou à redevenir, une reine de légende.

(1) Lire Le roi Arthur, un mythe au XXe siècle de Marc Rolland
(2) Voir l’épisode 34 du Livre II, La Ronde
(3) Voir épisode 30 du Livre I, Le Trois De Cœur
(4) Voir épisode 34 du Livre III, Les Cheveux Noirs
(5) Lire Europe de Jean Markale
(6) Voir épisode 6 du Livre VI, Nuptiae
(7) Voir épisode 79 du Livre III, La Fête De L’Hiver II
(8) Voir épisode 87 du Livre III, Le Mauvais Augure
(9) Voir épisode 93 du Livre IV, Le Renoncement 1ère partie
(10) Voir épisode 94 du Livre IV, Le Renoncement 2ème partie
(11) Cette figure n’est pas sans rappeler Morgane

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