Le rôle de la reine
Avant de redevenir une reine de légende, comme dans les œuvres précédentes, ce dont nous parlerons plus tard, Guenièvre est reine mais dépourvue de toute souveraineté. Elle n’est, pour commencer, que l’objet d’un mariage politique qui scelle une alliance entre le roi de Carmélide et Arthur, afin de permettre la mise en place de la fédération des clans bretons.
Montée sur le trône, elle ne prend cependant part à aucune décision et reste très éloignée du pouvoir, dont elle ne saisit pas grand chose. Ce rôle de reine semble se résumer à un profond ennui, qui la fait rêver de liberté, et la poussera à partir. Cependant, à partir du Livre V, tenue à l’écart également, dans le clan de Lancelot, Guenièvre évoluera, elle cessera de vivre dans ses rêves pour affronter la réalité. Jusque là elle est ignorée complètement, on ne la voit jamais en dehors du lit et de la table du roi, elle ne siège jamais sur un trône, à la différence de Dame Mevanwi, l’usurpatrice dont nous aurons l’occasion de reparler. Et même lorsqu’elle tente de s’intégrer, comme dans le clan de Lancelot, elle est soit totalement ignorée(1), soit mise à l’écart par le Roi Loth lors de son discours militaire(2).
Peut-on, néanmoins dire que le rôle de Guenièvre au sein de Kamelott est nul ? Assurément non, puisque son départ entraîne la chute progressive du royaume, ce qui signifie qu’elle était un pilier fondateur, importante au côté d’Arthur. Elle est, par ailleurs, la touche de courtoisie, dans ce monde essentiellement porté sur la guerre et les exploits guerriers. Aussi Guenièvre a-t-elle un goût artistique qu’elle met au service du château, en y invitant des bardes par exemple(3). Elle s’occupe également de la bonne tenue des jardins, une occupation mise en confrontation avec les activités d’Arthur, lorsqu’il lui raconte sa propre journée, à devoir écouter et voir les différents systèmes de torture.
Arthur — « Vous mettez ce bout là dans un orifice. »
Guenièvre (choquée) — « Un orifice ? »
Arthur — « Oui, c’est au choix, enfin bon c’est vrai que classiquement c’est plutôt le…. Bref. Vous prenez l’aiguille et vous piquez le cul du rat. Bon là c’est un rat empaillé mais c’est pour vous montrer. Le rat rentre dans l’orifice et il bouffe tout. (Guenièvre est dégoutée et Arthur ravi) Hein ? Oui, oui ça ? Hein ? Pfiou. Vous avez raison c’est plus sympa quand on se raconte nos journées(4) ! »
Ceci montre les divergences d’opinion sur leurs occupations, mais il y en a également sur les œuvres artistiques, comme par exemple sur une statue représentant un athlète grec nu lançant un disque(5). Guenièvre est sensible à cet art, ce qui n’est pas le cas d’Arthur. Ils confrontent également leurs opinions sur la poésie(6) ou sur la mise en scène des Troyennes d’Euripide(7). Guenièvre cherche des occupations artistiques afin de vaincre son ennui, ses goûts sont remis en cause par Arthur, qui possède pourtant une certaine culture.
En dehors de ses occupations artistiques, Guenièvre est également garante de la bonne entente au sein de la cour du Roi. C’est un point essentiel, souvent délaissé par Arthur, et qui va justement entrainer la chute de son royaume, avec le départ de Perceval, Karadoc et Merlin notamment. Elle apporte de la considération aux personnes de la cour, et s’inquiète de leur bien-être, elle décide ainsi de répertorier toutes les dates d’anniversaire des personnes vivant au château, afin de n’oublier de célébrer celui de personne, évitant ainsi colère et rancune(8). Elle est aussi la confidente de la cour, et en tant que dame courtoise, veille à ce que les romances se déroulent bien. Lancelot vient se confier à elle de son amour secret pour une personne de haut rang(9), elle laisse par ailleurs entendre que l’on vient souvent se confier à elle, ce qui a le don d’énerver Arthur(10). Elle tente également d’arranger la romance entre Angharad, sa suivante, et Perceval(11).
Elle porte un point d’honneur à valoriser la condition féminine. Le Père Blaise dira d’elle, qu’elle est « le symbole de la femme bretonne »(12). Aussi elle se demande pourquoi il n’y a pas de femme acceptée autour de la Table Ronde(13). Cette attitude semble lui venir de sa mère, Dame Séli, d’origine picte, qui, comme le prétend son mari, l’a éduquée avec des principes sur « les femmes guerrières » qui savent et font ce qu’elles veulent(14). Par ailleurs, Guenièvre entreprend de réunir les femmes de chevaliers de la Table Ronde(15). Ceci rappelle ce qu’Anne Berthelot nommait « Les Chevaliers de la Reine », une assemblée de jeunes chevaliers, Gauvain en tête, similaire à la Table Ronde, centrée sur le personnage de Guenièvre, qui assure la sauvegarde de l’unification du royaume(16).
On a trop vite fait de dire que les activités de Guenièvre sont futiles, néanmoins celles-ci conjuguées aux actes guerriers de son mari constituent un équilibre au sein du royaume, de sorte que si l’un des deux éléments fondateurs de cet équilibre venait à disparaître, le royaume serait en danger et menacé d’extinction.
(1) Voir l’épisode 70 du Livre IV, L’Ultimatum –
(2) Voir l’épisode 74 du Livre IV, Le Discours
(3) Voir l’épisode 07 du Livre I, Des Nouvelles Du Monde et l’épisode 26 du Livre I, À La Volette
(4) Voir l’épisode 13 du Livre I, Arthur Et La Question
(5) Voir l’épisode 78 du Livre I, Le Discobole
(6) Voir l’épisode 75 du Livre II, Le Poème
(7) Voir l’épisode 15 du Livre III, Guenièvre Et Euripide
(8) Voir l’épisode 36 du Livre II, Merlin L’Archaïque
(9) Voir l’épisode 37 du Livre I, La Romance De Lancelot
(10) Voir l’épisode 19 du Livre I, Le Repos Du Guerrier
(11) Voir l’épisode 73 du Livre I, Le Billet Doux
(12) Voir l’épisode 69 du Livre I, La Mort Du Roy Arthur
(13) Voir l’épisode 59 du Livre I, La Jupe De Calogrenant
(14) Voir l’épisode 01 du Livre IV, Tous Les Matins Du Monde
(15) Voir l’épisode 55 du Livre III, Au Bonheur Des Dames
(16) Lire Guenièvre, princesse de Carmélide, reine de Logres d’Anne Berthelot